Historique du théâtre
Presque 110 ans d’Histoire pour l’écrin de la comédie
Un patrimoine que nous nous proposons aujourd’hui de valoriser et de redécouvrir, en suivant les différents directeurs qui ont œuvré au fil des ans, à inscrire le Théâtre Michel comme un lieu majeur de la culture populaire parisienne et française.
Et avant tout ça, qu’était le 38 rue des Mathurins ?
Jusqu’en 1875, le bâtiment du n°38 était un hôtel particulier, désigné comme appartenant au marquis Ferron de la Ferronays. Il y logeait avec sa femme, une créole originaire de Saint Domingue, avant d’en laisser l’usage à la famille d’Alogny.
L’Hôtel était voisin alors de la Direction de la poste à chevaux.
(source : Charles Lefeuve, histoire des rues de Paris, maison par maison – 1875)
L'ouverture
C’est en 1906 que Michel Mortier fit appel à l’architecte Bertin pour la construction d’un nouveau lieu de culture dans Paris.
L’emplacement est tout trouvé : ce sera au 38, rue des Mathurins, à côté de son voisin le Théâtre des Mathurins qui a ouvert dix ans plus tôt.
Une façade Napoléon III, un toit ouvert en verrière, caractéristiques du travail de Bertin, aideront bientôt à l’ouverture de ce nouveau théâtre à l’italienne. Le public y pénétrera par un fronton décoré sobrement, de style antique.
M. Mortier est une figure importante du théâtre de l’époque : il a déjà fondé et dirigé en 1898 le Théâtre des Capucines (aujourd’hui disparu), à quelques rues de là. Boulevardier influent, son nouveau lieu de culture s’appellera comme lui : le Théâtre Michel est né.
L’inauguration a lieu le 1er décembre 1908. La première pièce qui y est présentée est un texte inédit de Tristan Bernard, ami de Mortier : LE POULAILLER.
Coup du sort : quelques jours après la création d’une nouvelle pièce, LE RUBICON, d’Edouard Bourdet (sa première œuvre), en janvier 1910, Paris connaît une crue terrible et mémorable qui engloutit la capitale sous des mètres d’eau. La salle de spectacle, majoritairement en sous-sol, se trouve totalement submergée : l’orchestre, les loges et le bar.
Le directeur, anéanti, se serait écrié du haut de la corbeille, face à son théâtre inondé : « Me faire ça, à moi ! ».
Le découragement ne dure pas, et le succès arrive l’année suivante grâce au VEILLEUR DE NUIT de et avec Sacha Guitry. L’illustre dramaturge est un ami de Mortier.
Le Michel continue de programmer des pièces humoristiques et autres boulevards dans les années qui suivent, avant l’entrée en guerre. On retiendra notamment, en 1913, l’INGENU de Charles Méré et Régis Gignoux, réécriture du roman de Voltaire.
Les années 1910 - 1920
En 1915, Michel Mortier cède la place à Robert Trébor.
Agé de 36 ans, Trébor est un dramaturge déjà reconnu, ayant collaboré notamment avec Marcel Pagnol et ami de Sacha Guitry.
Avec son associé Lucien Brigon, la première action de Trébor est d’engager un décorateur pour parfaire ce théâtre, véritable petit écrin : l’artiste méticuleux et réputé Donatien est chargé de cette restauration.
Côté programmation, c’est aussi le début des revues !
Spectacle composé de numéros indépendants, petits sketches, chants et danses, à caractère humoristique, tout Paris vient y acclamer les vedettes du music-hall.
Lors de la création d’une première revue intitulée BRAVO, c’est l’occasion de voir sur scène Harry Baur, et Parisys, alors à ses débuts.
Trébor fait rapidement appel à Rip, chansonnier renommé. La revue PLUS CA CHANGE sera programmée pendant près de trois ans.
Plus ça change -1915
Mousmé – 1920
Bob et moi – 1924
On revient aux pièces de théâtre après la guerre : en 1919, il monte un des premiers gros succès de Louis Verneuil, POUR AVOIR ADRIENNE.
1920 : le roman de Colette, CHERI, a été publié il y a quelques mois (bien qu’elle l’ait écrit huit ans auparavant). Son collègue et ami Léopold Marchand la rejoindra pour adapter le roman, l’histoire d’une vieille courtisane du nom de Léa et son jeune amant. Marchand se chargera de la mise en scène, au Théâtre Michel, et y tiendra même un rôle.
La même année, Trébor s’implique également à la direction au Théâtre des Mathurins. A l’époque son voisin porte le nom temporaire de « Théâtre de Sacha Guitry » et les deux hommes de théâtre sont amis.
Dans la décennie qui suit, on retiendra plusieurs créations de Tristan Bernard (LE SEXE FORT en 1927, PERDREAU DE L’ANNEE, en 1926 et PRINCE CHARMANT en 1925, où l’illustre auteur lui-même tiendra un rôle).
En 1923, c’est la création de MA COUSINE DE VARSOVIE, qui révélera la comédienne Elvire Popesco.
Un autre événement surviendra durant cette période : au début des années 20, les fondateurs du mouvement dada se réunissent régulièrement pour des manifestations, des festivals, autour de la littérature et du spectacle.
La dernière de ces soirées, le CŒUR A BARBE, se tient le 6 juillet 1923, au Michel, organisée par Tristan Tzara et réunissant Robert Desnos, Paul Eluard, André Breton. Depuis quelques temps des désaccords d’idées opposent les différents artistes, et alors que s’achève la projection d’un court métrage inédit de Man Ray, les choses dégénèrent : Breton casse d’un coup de canne le bras du journaliste Pierre de Massot, Tzara interrompt la manifestation et appelle la police. La soirée prévue le lendemain sera annulée.
Les années 1930 - 1940
En 1930, Robert Trébor reçoit le manuscrit d’une nouvelle pièce intitulée LA LIGNE DE COEUR et convoque immédiatement l’auteur, encore inconnu, à Paris : c’est le début de la carrière de Claude-André Puget.
Le spectacle se monte avec Pierre Fresnay dans le rôle principal. C’est un triomphe autant auprès du public que des critiques, jugeant le texte de Puget frais et malicieux. L’année suivante, ce sera donc une autre pièce de Puget, toujours avec Pierre Fresnay, qui sera sur les planches : VALENTIN LE DESOSSE (fiction historique sur un mystérieux valseur de Montmartre, début 1900). En 1934, la roue tourne : TOURTERELLE, le nouveau spectacle de Puget, autour d’un conseiller dans une agence matrimoniale, amoureux d’une cliente, est un échec et s’arrête après seulement 25 représentations.
La programmation revient régulièrement sur l’opérette, la revue et la comédie musicale : Les créations de Dorin et Saint Granier, deux des plus grands chansonniers des années 30. Une pièce musicale sera même écrite par Tristan Bernard, qui déclarera avoir toujours regretté de ne savoir ni chanter, ni danser.
En 1937, c’est l’événement OSCAR WILDE, pièce de Leslie et Sewell Stokes, qui triomphe à Londres depuis plusieurs mois, qui s’installe rue des mathurins. La pièce sera jouée en anglais, totalisant un nombre impressionnant de 247 représentations.
On notera aussi en 1940 la création des MONSTRES SACRES ; de Jean Cocteau. C’est l’occasion de revoir sur scène la comédienne Yvonne de Bray, après une longue pause de 18 ans, sur une mise en scène d’André Brulé, avec qui à l’époque Trébor co-dirige le Théâtre de la Madeleine, à quelques rues de là.
Robert Trébor marque une page décisive lors de cette décennie en fondant en 1936 le Syndicat National du Théâtre Privé, dont il sera le premier président.
Pendant l’Occupation, il sera un temps considéré par la Propagandastaffel comme l’homme de confiance en charge des divertissements pour les allemands. Ce rôle lui est rendu très complexe sachant que nombre de ses comédiens les plus aguerris sont de confession juive.
Après le décès de Robert Trébor, en 1942, c’est son épouse Parisys qui assurera la direction du lieu. L’ancienne meneuse de revue fera appel à des auteurs et metteurs en scène tels que Jean Davray, Marc-Gilbert Sauvajon, Jacques Charon et Jean Meyer, dans une veine qui reste humoristique et musicale.
La dame blonde qui avait tant fait vibrer les foules parisiennes, joue souvent elle-même dans les productions du Michel.
Elle montera sur scène une dernière fois en 1964, lors d’une reprise des CROULANTS SE PORTENT BIEN. La même année, elle fait de Jean Meyer son principal collaborateur, et il prendra la direction du Théâtre Michel en 1967.
Parisys en 1910
Programme Paris Théâtre, à l’occasion de la reprise et captation des « Croulants se portent bien » – 1964
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Les années 1950 - 1960
Dans la France d’après-guerre, on retiendra le souhait de la directrice de diversifier ses spectacles, divertir, et surtout de faire intervenir des artistes de talent, alors à leurs débuts : une revue avec la collaboration de Charles Aznavour en 1953 (« Ca crève les yeux »), une comédie avec Louis de Funès, une autre avec un second rôle pour un certain Jean-Paul Belmond…
De nombreux auteurs y proposent leurs dernières œuvres : Jean Vallée, Pierre Barillet, Marc-Gilbert Sauvajon, ou encore Louis Verneuil.
Entrevue avec Jean Meyer – 1963 – INA
Après le départ de Parisys, Jean Meyer travaillera lui-même régulièrement sur la mise en scène des spectacles joués au Michel.
Secondé par la comédienne Josette Harmina, Meyer partagera son temps entre son théâtre parisien et la codirection du théâtre lyonnais les Célestins.
A cette époque, la santé financière du 38, rue des mathurins, est mise à mal : plusieurs facteurs l’expliquent, comme la multiplication des lieux de théâtre dans Paris, mais aussi l’apparition de la télévision, et l’absence de subventions pour les théâtres privés. Plusieurs directeurs s’associent à la Ville de Paris pour permettre le maintien des actions de création dans le secteur privé.
Il y a déjà quelques années que les plus grands théâtres courtisent Henry de Montherlant pour voir jouer une pièce dont il n’a jusqu’alors donné que des extraits, et des ébauches éditées à quelques exemplaires.
Il est question, pour Montherlant, de trouver un lieu qui se prête à sa pièce, mais aussi de choisir les bons interprètes : deux des rôles principaux nécessitent des comédiens très jeunes.
L’œuvre traite, avec précaution, des « amitiés particulières », et s’inspire de la propre adolescence de l’auteur : dans un collège catholique, se créé un triangle amoureux entre deux élèves et un abbé.
Meyer dira lui-même de la pièce : « C’est la pièce la plus importante de notre théâtre depuis le début du siècle ». LA VILLE DONT LE PRINCE EST UN ENFANT se produira au Michel pas moins de 1450 fois, avec un accueil critique et publique triomphal. Elle sera d’ailleurs reprise sur d’autres scènes en 1974, 1994 et 2006. La version de Meyer a même été captée et diffusée à la télévision le 4 mai 1971.
Programme « La ville dont le prince est un enfant »- 1967
De 1970 aux années 2000
En 1971, le Théâtre est repris par le couple Marc et Germaine Camoletti. Boulevardier déjà reconnu, Marc Camoletti va donner un nouveau souffle au lieu par des pièces qui connaissent des records de longévité.
Des comédies aux thèmes récurrents, des histoires de couples, d’infidélités et de quiproquos, voilà la recette que reprendra l’auteur durant ses 48 années de carrière théâtrale.
Que ce soit dans son propre théâtre ou chez ses collègues parisiens, les pièces de Marc Camoletti connaissent le même succès, puis sont traduites en plusieurs langues et triomphent à l’étranger : Duos sur Canapé (1972), On dinera au lit (1980), Pyjama pour six (1985).
C’est surtout Boeing Boeing, écrit en 1960, qui aurait été jouée plus de 10000 fois à travers le monde, adapté au cinéma avec Tony Curtis, et encore actuellement proposé dans les salles les plus prestigieuses à Londres ou New York. La dernière reprise du spectacle sur Broadway en 2008 a d’ailleurs été récompensée par deux Tony Awards.
Affiche du film « Boeing boeing » – 1965
Programme « Boeing boeing » du Longacre Theater, New York – 2008
Après la disparition du couple en 2003, c’est leur fils Jean-Christophe qui continue de faire vivre le précieux théâtre et l’héritage de ses parents. A ce moment, Boeing Boeing est encore à l’affiche au Michel, ainsi que beaucoup d’autres pièces de Camoletti, reprises par d’autres théâtres parisiens.
Dans les cinq années qui suivent, Jean-Christophe proposera également des comédies plus modernes. En 2006 notamment, le Théâtre accueille le phénomène mondial écrit par Eve Ensler, Les Monologues du Vagin. Le spectacle, mis en scène par Isabelle Rattier, restera à l’affiche jusqu’en 2010, avec une alternance remarquable de comédiennes talentueuses et de personnalités : Andréa Ferréol, Nicole Croisille, Annie Stone, Stéphanie Bataille, Jennifer Bartoli, pour ne citer qu’elles.
De 2007 à 2018
2007 : Didier Caron et son équipe investissent le Théâtre Michel. Le nouveau directeur, comédien, auteur et adaptateur reconnu, partage son temps entre la création de nouveaux spectacles et la programmation de pièces originales : Clément Michel (Le grand bain en 2008, Une semaine pas plus en 2013), ou encore Julien Sibre dont le Repas des Fauves remportera 3 Molières en 2011.
L’objectif avoué de Didier Caron ? Apporter à ce beau lieu une énergie, un enthousiasme et un théâtre de qualité, résolument inscrit dans le XXIème siècle. Des comédies bien sûr, mais de belles comédies humaines, féroces et tendres, drôles et touchantes à la fois, de celles où l’émotion vous cueille par surprise au sortir d’un éclat de rire.
ACTUELLEMENT
« L’Art est de plaire » écrivait Molière. Et chaque soir, nous partons à la conquête du public. Qu’il y ait trente, cinq cents ou mille personnes dans la salle, tous les cœurs doivent battre à l’unisson. Le public doit frémir d’un seul souffle, rire d’une seule voix, s’enthousiasmer d’un seul cri. Le lien invisible qui relie la scène à la salle doit se tisser, soir après soir, afin que la magie opère. Nous ne racontons pas des histoires, nous les faisons vivre aux spectateurs.
Chaque nouvelle création est un pari que la troupe se lance.
Allons-nous plaire ? L’illusion sera-t-elle parfaite ? La vie va-t-elle éclore sur les tréteaux ? Le public aura-t-il envie de nous ?
Cette année, nous vous proposons neuf spectacles, tous différents. Certains sont déjà plébiscités par la presse, la profession et le public ; d’autres sont des créations auxquelles nous apportons le plus grand soin. Nous sommes fiers de vous les présenter. Nous avons le trac, bien sûr, comme à chaque nouvelle saison. Mais il s’envolera avec le rideau et disparaîtra dans les cintres.
Et si ce soir, vous avez ri ou bien pleuré ; ou appris ou peut-être frissonné, c’est que nous aurons su partager notre passion.
Alors les auteurs, les comédiens, les metteurs en scène, les décorateurs, les éclairagistes, les costumiers, les habilleuses, les couturières, les magiciens, les peintres, les constructeurs, les menuisiers, les musiciens, les chorégraphes, les secrétaires, les comptables, les administrateurs, les ouvreurs, les assistants, les régisseurs, les caissiers, les contrôleurs, les compositeurs, les accessoiristes, les vidéastes, les tourneurs, les maquettistes, les photographes, les producteurs et les directeurs – bref, toute la troupe – vous souhaitent une merveilleuse soirée.
Francis Nani & Sébastien Azzopardi