Depuis toujours passionné de spectacle vivant, Jacques Crépineau commença une carrière de journaliste en 1952. Il collabora notamment avec de nombreux journaux tels que Cinémonde, Paris théâtre, Spectacle du monde, Combat, Le Quotidien de Paris…
Il entre véritablement dans la profession théâtrale en passant par la Comédie Wagram en 1954, puis devient le secrétaire général (1958-1977) de nombreux théâtres : la Madeleine, les Ambassadeurs, le Palais Royal, les Variétés, Saint-Georges, Châtelet, Mogador, les Folies Bergère, Casino de Paris.
Animateur de radio puis Directeur du Théâtre de la Michodière, Jacques Crépineau ne cessera jamais d’écrire. Il aura notamment écrit « Grandes Heures du Théâtre à Paris », dans lequel il raconte l’histoire du Théâtre Michel, à travers les pièces et les célébrités de l’époque.
En voici l’extrait.
C’est en 1906 que Michel Mortier fonda derrière la Madelaine le Théâtre Michel. Il revint naturellement à l’auteur le plus à la mode au Boulevard, Tristan Bernard, d’inaugurer la nouvelle salle avec l’une de ses meilleures pièces Le Poulailler.
Dès son ouverture, ce théâtre fut placé sous le signe de l’esprit et le conserva. Pendant dix années, sous la direction de son fondateur, le Théâtre Michel devait présenter des pièces qui connurent toutes le succès. Il convient d’en retenir Léonie est en avance de Georges Feydeau, L’Ingénu de Charles Méré et Gignoux, Le Feu du Voisin de Francis de Croisset et surtout le triomphal Veilleur de Nuit de Sacha Guitry que jouait l’auteur avec Harry Baur et Charlotte Lysès. Sur cette scène en 1910, Edouard Bourdet fit jouer sa première pièce Le Rubicon.
Dès ses débuts, le futur administrateur de la Comédie Française montrait quelle serait la sûreté de son style dramatique et la rigoureuse construction de ses pièces à venir.
À partir de 1916, pendant vingt-six ans le Théâtre Michel eut pour directeur Robert Trébor. D’abord associé à Lucien Brigon, puis seul, Trébor confirma à son théâtre un rare éclat en y présentant un répertoire de Boulevard de premier choix. Tous les auteurs en vogue se succédaient à l’affiche : Romain Coolus, André Barde, Nozière, René Fauchois, Denys Amiel, Jacques Natanson avec Le Greluchon Délicat, gros succès d’hier ; incroyable aujourd’hui.
Mais Alfred Savoir tenait une place à part, originale par son ton et ses sujets avec La 8e femme de Barbe Bleue et Le Dompteur ou l’Anglais tel qu’on le mange. Tristan Bernard donnait L’Accord Parfait. Et la célèbre Ecole des Cocottes d’Amont et Gerbidon eut pour créateurs Jane Marnac, Raimu et Signoret. L’École des Cocottes, peinture cruelle de la société et d’une époque, a connu des milliers de représentations, souvent reprise sur d’autres théâtres parisiens.
Le prince du Théâtre Michel des années 20 était Rip. Rip, l’auteur de revues qu’on a jamais remplacé depuis trente ans. La revue, genre léger, basé sur l’actualité, passe avec elle. Et cependant le souvenir de Rip reste vivant par sa légende et son esprit. Pendant trois saisons, Spinelly et Raimu jouèrent Plus ça change, fantaisie de science-fiction, audacieuse pour l’époque (1918). Rip prouva qu’il pouvait aussi être l’auteur dramatique à part entière avec Quand le diable y serait (1921). Mais la revue était son empire et il donnait l’année des élections Oh, parle m’en!
Plus tard Le bel ange vint, l’année de la création de La belle angevine, de Maurice Donay aux Variétés, l’ange en question était Aristide Briand !
Enfin, les mots de Rip, d’une précision confondante, dans la grande tradition, boulevardière ont assuré la gloire à beaucoup de ses victimes. Être épinglé par lui était une consécration parisienne. Mistinguett au faite de sa gloire : « Les soirées de mes dents »; Catulle Mendès, dont l’épouse était outrageusement maquillée : « Le gardien du fard »; Sylvain tragédien français, devenu amnésique « L’Homme qui a su Cinna »; Henri de Rothschild, protecteur de la belle Natacha Trouhanova : « Le Chopin de la Polonaise »; Maurice Barrès : « Le littérateur du territoire »… Mais un volume d’anas consacré seulement à Rip ne pourrait suffire à les contenir tous…
C’est le 22 décembre 1923 qu’une bombe éclata au Théâtre Michel. Entendez que ce soir-là eut lieu la générale de Ma cousine de Varsovie avec Harry Baur, Madelaine Carlier et Elvire Popesco. Quelques mois plus tôt, la grande comédienne avait déjà joué à Paris, au Théâtre de L’Oeuvre -, avec la troupe du grand théâtre de Bucarest, en représentations officielles, mais personne ne l’avait remarquée. Il fallut qu’elle rencontrât dans son pays Louis Verneuil qui lui écrivit ce rôle fétiche de Ma cousine de Varsovie. La salle explosa. Tout Paris explosa. La France entière explosa. Et le bruit de l’explosion se fait toujours entendre cinquante ans après…
La folle comédie de Sacha Guitry, Jean III, fut reprise par Pierre Fresnay qui, venant de claquer la porte à la Comédie Française, avait signé un contrat de cinq ans avec Trébor. Pierre Fresnay joua encore ici La femme en blanc de Marcel Achard, Parlez-moi d’amour de Louis Verneuil et la plaisante comédie de C.A. Puget : Valentin le désossé dans laquelle il incarnait le célèbre modèle de Toulouse-Lautrec.
Colette fut aussi à l’affiche du Théâtre Michel avec Chéri qu’elle avait adapté pour la scène avec Leopold Marchand. Pièce forte, d’un amour sans âge, qui trouvera tout son sens plus tard avec Valentine Tessier et Jean Marais. Et l’on joua Molière sur cette scène avec un interprète inattendu : Tristan Bernard fut Sganarelle dans Le médecin malgré lui. Du personnage Molièresque à Tripple-Patte, la ligne droite.
Jean Debucourt, l’un des plus grands comédiens français conquit ses galons de vedette dans Pardon Madame et André Luguet et Suzy Prim se firent longtemps des scènes de ménage dans Les Amants Terribles de Noël Coward.
Rip ne fut pas le seul revuiste du Michel. René Dorin et Saint-Granier lui disputaient le succès d’actualité avec leurs revues Lavalisons!, Super-Pause, Un coup de rouge, l’année du Front Populaire. Les plus grandes vedettes étaient leurs interprètes.
C.A. Puget connut de nombreux succès au Théâtre Michel dans les années 30. Après La Ligne de Coeur, ce fut le triomphe des Jours Heureux, pièce qui vit les débuts d’un jeune élève de Louis Jouvet (Maitre sublime qu’il honore si bien) au conservatoire, qui n’avait cependant rien à apprendre, étant le comédien : François Perier.
Juste avant la guerre, André Brulé et Yvonne de Bray jouèrent leur propre personnage dans la pièce évocatrice de Jean Coteau Les Monstres Sacrés, avant que Colette ne collabora avec Raymond Souplex pour une Revue du Michel.
Après la disparition de R. Trébor en 1942, Parisys, moineau de Paris, vedette des Boulevards, comme la chanta Rip, fille de Mimi Pinson et de Gavroche, assuma la direction du théâtre.
La drolatique comédie de Germaine Lefrancq 25 ans de Bonheur se joua trois années ! Parmi les succès montés par Parysis : L’or et la Paille de Barillet et Grédy ; La lune est bleue ; La Duchesse d’Algues avec Gaby Sylvia ; Virage Dangereux ; Le Train pour Venice de Louis Verneuil qui était pour Poiret et Serrault, comédiens, leur premier train du succès ; de Roger Ferdinand Les Croulants se portent bien, sa dernière comédie qui valait mieux que son titre.
Après ses 25 ans de bonheur de directrice, Parisys confiait le Théâtre Michel à Jean Meyer et Josette Harmina qui eurent l’honneur de présenter La Ville dont le Prince est un enfant, de Henry de Montherlant, à propos de laquelle Marcel Arland écrivait : » Son chef-d’oeuvre peut-être… » Et des années, pendant lesquelles seul le vaudeville triomphait à Paris, La Ville… tint l’affiche rue des Mathurins, Jean Meyer avait réalisé là, l’une de ses plus belles mises en scène. Le Prix Dominique l’en récompensait.
Enfin, en 1972, Germaine Camoletti, à qui l’on devait de nombreuses productions théâtrales, prenait possession du fauteuil directorial.
Tout de suite, ce fut La Bonne Adresse avec Denise Grey, avant la création de Slag qu’interprétèrent Brigitte Fossey et Tanya Lopert. Puis pendant quatre saisons consécutives, un succès cosmique de Marc Camoletti avec Darry Cowl, Christian Marin : Duos sur Canapé permirent au Théâtre Michel de retrouver son genre original que confirmèrent la création de Au Plaisir, Madame, de Philippe Bouvard et une éclatante reprise avec Jean Lefèvre du toujours jeune succès comique de Flers et Croisset Les Vignes du Seigneur.
Par une telle variété de styles et de genres, le Théâtre Michel de Paris est dans la tradition de son homonyme de Saint-Petersbourg où l’on jouait le répertoire français toute l’année. Avant 1917 !
Jacques Crépineau « Grandes Heures du Théâtre à Paris »
(Librairie Académique Perrin)